• chapitre 8

    -Pfff, mais pourquoi est-ce qu’elle m’a donné tout ça ? C’était vraiment nécessaire ? grommela Mizuki.

    Elle avait atteint tant bien que mal l’extrémité du village et s’était assise par terre juste en dessous de sa bulle pour feuilleter tous les documents que lui avait donnés l’archiviste.

    -Alors voyons voir… Mon emploi du temps, mes profs, les connaissances déjà acquises par les autres élèves, les lieux de cours en fonction des profs, les évaluations… Je vais avoir une tonne de choses à apprendre ! La quantité de choses qu’elles savent déjà est incommensurable. Je pourrais vraiment rattraper mon retard ?

    Mizuki soupira puis s’étira en tirant sur ses bras. Elle s’allongea sur le dos et plongea son regard dans l’infinité du ciel étoilé. Plus elle le regardait et plus le nombre d’étoiles augmentait.

    -C’est vraiment joli…  Le ciel si lointain a l’air si tranquille. Ce que vivent les mortels ici-bas doivent lui paraître bien insignifiant.

    Mizuki mit ses mains en coupe devant elle, ainsi on avait l’impression que la lune naissait d’entre ses doigts.

    Elle soupira à nouveau puis se releva et rassembla tous ses livres et documents pour en faire une pile bien nette. Instinctivement elle savait qu’ils ne risquaient pas de s’abimer dans l’eau de sa bulle – après tout quand elle en sortait elle n’était pas mouillée – mais elle était tout de même inquiète.

    Lorsqu’elle pénétra dans l’eau, ses livres dans les bras, une bulle d’air se forma autour des livres afin de les protéger. Rassérénée elle ne conserva que le livre sur le vol puis ressorti.

    Vu l’heure qu’il était, les élèves ne devaient pas être depuis longtemps en classe. Etonnamment ça la fit sourire, elle n’avait jamais manqué de cours au Japon mais là elle comptait sécher pour un bon bout de temps : il fallait qu’elle comble ses lacunes. Tant qu’elle éviterait les profs et les élèves tout devrait bien aller, non ? Et puis ce n’est pas comme si elle allait s’amuser… En fait travailler était une des rares choses qu’elle savait bien faire. Elle n’avait eu que peu d’occasions de s’amuser, ses parents l’obligeant à être la meilleure partout. Une triste existence à la réflexion.

     

     

    -Alors c’est marqué qu’il faut sentir les muscles de ses ailes… Mais je ne les connais pas moi ! Plus je me concentre sur mes ailes, moins j’ai l’impression d’y arriver !

    Le menton dans ses mains et le livre entre ses jambes, Mizuki était  assise au sommet d’un rocher dans une petite clairière à essayer de comprendre vainement comment faire bouger ses ailes. Pas de voler, non ! Elle en était loin mais déjà arriver à faire vibrer ses ailes ce ne serait pas trop mal. Mais ça faisait plusieurs jours – ou plutôt plusieurs nuits – qu’elle se concentrait en haut de son rocher et elle n’y arrivait toujours pas.

    -Peut-être que ma nature humaine me bloque ? Le fait d’avoir des ailes comme ça ne m’est pas naturel et je n’arrive pas à m’adapter ? Les réflexes conditionnés des êtres humains…

    Par dépit Mizuki sauta de son rocher et décida de se promener un peu en forêt. A présent elle savait se montrer discrète et ne pas se faire remarquer. A force de rater les cours, ses profs commençaient à s’énerver et les autres élèves la regardaient de travers quand elles la croisaient. Du coup elle avait développé un don pour se camoufler et se faire petite quand c’était nécessaire.

     

    Zigzaguant entre les brins d’herbes et les hautes fougères qui la dissimulaient entièrement, Mizuki s’éloignait de plus en plus du domaine des Norix. En fait, elle était dans une partie de forêt qu’elle n’avait encore jamais explorer : ce qui en soi n’est guère étonnant quand on fait trente centimètre et qu’on ne peut même pas voler.

    Peu à peu ses ailes s’éteignirent et le soleil se leva en parallèle. Mizuki s’était tellement habituée à vivre la nuit qu’elle commençait déjà a être fatiguée. Le temps de rentrer et il serait vraiment tard… Mais elle hésitait… Elle était bien ici. Cette partie de la forêt était vraiment tranquille, on n’entendait que les oiseaux et les diverses craquements et grignotements des petits animaux de la forêt. En fait ce qui l’apaisait, c’était justement ces bruits : dans la partie de forêt des Norixes on n’entendait aucun bruit. Même les feuilles des arbres bruissaient en silence comme si toute la nature avait peur de la colère des Norixes…

    Au moment où elle se dit qu’il était vraiment temps de rentrer un corbeau noir se posa à quelques pas d’elle. Surprise elle se renfonça sous le lit de fougères pour échapper à son regard.

    -Pas besoin de te cacher Norix ! Je sais que tu es là !

    La voix lui semblait étrangement familière bien qu’elle soit particulièrement agressive. Mais il était hors de question qu’elle sorte à découvert ! Et le déclic se fit :

    -Xylin !

    Elle sortit de sous les fougères et constata qu’effectivement c’était bien le même Phée qui chevauchait le corbeau.

    -Tiens tu es la Norix de la dernière fois ! Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pas censée être dans ton village ?

    -Si si…

    Xylin descendit de sa monture pour s’approcher de Mizuki, la regardant de plus près.

    -Tu as quelque chose de changé depuis la dernière fois…

    -J’ai l’air un peu plus désespérée ?

    -Non. Tu as l’air plus seule.

    Mizuki détourna le regard et le silence s’étira. Et c’est Xylin qui le brisa.

    -Au fait, tu savais que tu étais sur le territoire des Chevaucheurs ?

    -Et ? lui répondit Mizuki sans comprendre.

    -Nos deux espèces ne s’entendent pas très bien tu sais… Ou plutôt ton espèce ne s’entend pas très bien avec les autres…

    -Oui j’avais bien remarqué, fit Mizuki en soupirant.

    -Alors qu’est-ce qui t’amène par ici ?

    -Pas grand-chose. Je me promenais juste.

    -Tu te promenais ? Si loin de chez toi ? Avec un livre sous le bras ?

    -Tu es trop perspicace !

    -Bien obligé… Je suis peut-être un Maraudeur mais je surveille notre territoire de près et tu es potentiellement un danger.

    -Une Norix quelle qu’elle soit n’est pas vraiment un danger en pleine journée.

    -Une Norix normale peut-être. Mais il me semble que ça ne te concerne pas ? Mademoiselle la Norix de Guerre…

    -Je ne peux même pas voler, alors qu’importe !

    -Tu ne peux pas voler ? Mais tu es une Norix !

    -J’ai quelques problèmes… Et je ne peux même pas m’entraîner pendant la journée.

    -Ben si.

    Xylin la regardait comme si elle était stupide. Ou complètement folle.

    -Les Norix de guerre peuvent voler et utiliser leurs pouvoirs en pleine journée, c’est bien pour ça que vous n’êtes pas les bienvenues puisque vous n’aimez que votre propre espèce !

    -Voilà qui me redonne de l’espoir ! Maintenant j’ai encore plus d’heures pour m’entraîner ! Du coup j’y vais, je ne veux pas te déranger plus longtemps, surtout si je suis un « danger potentiel », dit Mizuki en accentuant ses deux derniers mots avec une moue boudeuse.

    Le Phée la regarda d’un air étonné puis éclata de rire.

    -Tu es une drôle de Norix ! Un peu trop humaine… Mais je t’aime bien, allez monte, je vais t’apprendre à voler !

    -Quoi ?!

    Xylin la prit par le bras et l’entraîna près de son corbeau.

    -Prend appui derrière la patte et monte sur son dos, tu dois coincer tes jambes juste devant l’articulation de ses ailes.

    Mizuki grimpa tant bien que mal sur le dos du corbeau, soutenue par Xylin pour ne pas retomber. Lui se hissa d’un pas léger sans problème et se mit juste devant Mizuki.

    -Alors, euh… C’est quoi ton nom en fait ?

    -Mizuki, fit-elle avec un sourire.

    -Pas courant comme prénom pour une Norix…

    -Tu radotes mon ami !

    -Pas faux… Alors mets tes bras autour de ma taille et tiens-toi bien. Mais ne sers pas trop fort tes jambes !

    -Chef oui chef !

    Et l’oiseau pris son envol. Ses ailes puissantes les emmenèrent rapidement au-dessus de la frondaison des arbres et Mizuki ferma les yeux de frayeur mais Xylin la reprit à l’ordre :

    -Ouvre les yeux Mizuki ! C’est beaucoup plus amusant comme ça et tu finiras par ne plus avoir peur ! Il n’y a rien de mieux que voler !

    Alors elle ouvrit un premier œil timidement, luttant contre son vertige pour regarder en bas. Elle vit une mer d’arbres à perte de vue. Tout paraissait plus petit et tellement différent depuis le ciel ! Ce fut donc sa curiosité qui permit à Mizuki d’ouvrir grand les yeux : elle ne voulait surtout pas rater un spectacle si fascinant !

    Peu à peu elle se délaissa du paysage et finit par observer comment le corbeau volait : le mouvement de ses plumes, la façon dont il inclinait ses ailes, comment ses plumes vibraient pour mieux prendre le vent, les spirales qu’il effectuait pour prendre des courants ascendants…  Ce fut ensuite le froid qui engourdissait ses bras autour de la taille de Xylin qui la rappela à l’ordre. En fait elle avait un peu froid de partout… Elle se créa rapidement une sorte de combinaison d’eau tout autour de son corps en innovant un peu cette fois : elle lui donna une température plus élevée que d’habitude. Bon, la première fois qu’elle avait tenté ça, elle s’était ébouillantée… Mais maintenant ça lui était bien utile !

     

    -C’est génial, hein ? lui cria Xylin en se retournant.

    -C’est top ! lui répondit Mizuki avec un grand sourire. J’adore !

    Ses yeux pétillaient de bonheur, jamais elle ne s’était autant amusée, voler était extraordinaire ! Le vent se prenait dans ses longs cheveux et fouettaient  ses joues rosies par le froid et l’excitation. Elle rayonnait littéralement de bonheur.

    D’ailleurs le vent commençait à être un peu trop fort…

    -Miyuki ?

    -Oui ?

    -Il va falloir se poser !

    -Pourquoi ?

    -Regarde devant ! C’est un énorme cumulonimbus ! Il va y avoir un énorme orage. Si on est pris dedans on est mal !

    Effectivement, en relevant les yeux, Mizuki constata qu’un énorme nuage noir se dirigeait droit sur eux ! Et rapidement qui plus est !

    Le corbeau descendit en flèche, les ailes rabattues le long de son corps, tel une fusée de plumes.

    -Aaaaaaaah !

    Cette fois Mizuki n’avait pu contenir son cri. C’était effrayant ! Le sol – ou plutôt les arbres – se rapprochaient à une vitesse phénoménale. Mais au dernier moment, le corbeau déploya ses ailes pour stopper sa chute et fut contraint de lutter contre des vents contraires.

    Xylin cria quelque chose à Mizuki mais le vent en emporta des morceaux :

    -Déso… Peut pas rejoin… lage… devoir t’amener… ien…

    -Quoi ?! Je ne comprends pas !

    Mais avant que Xylin ne puisse répéter – si ça se trouve lui-même n’avait pas entendu ce qu’avait dit Mizuki – le corbeau fit demi-tour et fut alors porté par un vent arrière. Cette fois il se mit donc à lutter contre un vent qui le ballotait en tous sens. Toute discussion fut rendue impossible par une pluie diluvienne qui s’abattit sans prévenir. Désormais Mizuki n’y voyait plus goutte, son champ de vision ne s’étendait plus que jusqu’aux bouts des ailes du corbeau. Le temps était devenu leur ennemi.

    A force d’être ballotée en tous, elle commençait d’ailleurs à avoir mal au cœur… Elle se concentra donc sur les gouttes d’eau qui glissaient le long du plumage noir. Le corbeau amorça alors sa descente et se posa sur une énorme branche d’arbre. Xylin aida Mizuki à descendre et une fois qu’ils eurent tous deux posé le pied à terre, le corbeau s’envola dans un bruissement de plumes.

    Xylin soutint Mizuki durant toute leur progression le long de la branche. L’écorce glissait, et Mizuki était peu habituée à ce genre de terrain.

    Finalement ils atteignirent le tronc de l’arbre dans lequel une ouverture avait été faite. Ils s’engouffrèrent tous les deux dedans et débouchèrent sur une petite terrasse intérieure avec un escalier à chaque bout : l’un descendant et l’autre montant.

    C’est alors que Mizuki remarqua une dizaine de silhouettes qui les encerclaient d’un air menaçant.

    -Tu me disais quoi tout à l’heure sur le corbeau ?

    -« Désolé on ne peut pas rejoindre ton village, je vais devoir t’amener dans le mien… »

    -Super… Et les Norix sont vont ennemies c’est ça ?

    -Pas que les nôtres…

    -Douce consolation… Je vais me faire zigouiller… 

     

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    cette histoire a été entièrement inventée, merci de respecter l'auteure et de ne pas vous servir de ce texte à des fins personnelles