Blog contenant des histoires inventées et des poèmes
Catiel marche deux pas devant moi. Je préfère voir son dos et me remémorer ma nuit plutôt que d’essayer de lui parler. Autant adresser la parole à un placard, j’aurais surement plus de résultats… Mais il m’a l’air beaucoup plus glacial que d’habitude, et ça c’est bizarre. Ça m’inquiète un peu… Peu importe, il faut que je me concentre sur le chemin. Cette fois je dois voir où il m’emmène, car quitte à devoir aller dans la salle des profs, autant essayer de découvrir quel est son signe. Sauf que globalement, comme nous sommes dans les couloirs principaux, ils ne varient guère. Je suis toujours le nez en l’air lorsque Catiel s’arrête.
-Aïe ! Tu pourrais prévenir !
Je me suis cognée le nez sur son dos. On dirait qu’il n’a rien remarqué car il se retourne et me dit froidement que nous sommes arrivés.
En effet, un panneau « salle des professeurs » surmonté d’une ligne noire indique le nom de la salle. Le symbole de la salle des profs est donc la ligne noire… intéressant à savoir. Certaines salles spécifiques sont donc surmontées du signe qui leur revient… Je ferais plus attention à présent.
Catiel fait alors demi-tour.
-Tu ne m’accompagnes pas ?
-Non, je n’en ai aucune raison.
-Ah.
Que dire d’autre ? C’est pas comme si on était puni tous les deux… J’hésite à entrer dans la salle lorsque la voix de Catiel s’élève une nouvelle fois.
-Surtout Viviane, ferme les yeux, ça aide.
-Hein ?
Mais il s’en va déjà ; il ne s’est même pas retourné pour me parler.
Je frappe à la porte et j’entre.
-Ah Mademoiselle Layne vous voilà enfin !
Je rejoins Madame Gritel qui est assise à son bureau. Je n’avais pas fait attention la première fois mais son bureau est légèrement excentré par rapport à celui des autres. Surement parce que c’est la chargée de discipline… Quoique, je ne sais pas vraiment quelle est sa fonction en fait.
-Bonjour Madame.
-Tiens vous êtes polie maintenant ? Je commençais à douter de votre éducation…
Je grince des dents mais me retiens, après tout je l’ai bien mérité. Je n’ai pas été exemplaire jusque-là. Mais Dieu que je déteste sa façon de me regarder par-dessus ses lunettes ! Après un cours silence elle reprend.
-J’étais toute disposée à passer l’éponge après votre première journée. Vous avez sauvez quelqu’un et je ne vous aurais pas tenu rigueur d’avoir raté les cours. Une petite lettre d’excuse ou d’introspection aurait suffi… mais votre comportement envers moi est tout à fait inexcusable !
Aïe… J’avais commencé à espérer que la punition serait légère, ou qu’il s’agissait d’une simple remontrance. J’ai vraiment été imprudente… me voilà pleine de remords maintenant ! Si seulement j’avais fait comme sur Terre ! Eviter les ennuis était devenu ma spécialité !
-A défaut d’une lettre, vous allez expérimenter mentalement pourquoi il ne faut pas nous désobéir. A votre âge, il est très facile de vous torturer psychologiquement… Monsieur Layne vient de l’expérimenter pas plus tard que tout à l’heure.
Et là, je ressens la menace qui perce dans sa voix et je flippe. Car je sens que ce qu’elle dit est vrai, qu’elle va me faire souffrir comme jamais. Et j’ai l’impression que ça l’amuse. Comme un enfant s’adique s’amuse à voir un insecte se noyer, elle va se délecter de ma souffrance. Je ferais tout pour la priver de ça, j’ai suffisamment enduré pour garder la tête haute et tenir droite. Devant elle, je ne baisserais pas la tête, je resterais droite quoi qu’il m’en coutera. Même si j’ai peur et même si j’en souffre, je la priverais de ce plaisir. Alors je relève la tête et la fixe droit dans les yeux. On se défie mutuellement du regard mais ni l’une ni l’autre ne baissons les yeux. Sauf qu’elle a un sourire triomphant. Merde ! Je lui ai donné une autre raison de m’infliger une punition sévère… Je suis trop bête ! Elle m’a manipulé de A à Z ! Mais il est trop tard pour faire machine arrière, cette fois je ne peux plus rien faire.
-Suivez-moi.
C’est ainsi que pour la deuxième fois de la journée, je suis quelqu’un me guider à travers l’académie. En silence. Sauf que là, une aura menaçante est tangible…
Elle s’arrête, elle aussi, brusquement mais je suis sur mes gardes. Devant nous se dresse une porte avec un œil gravé au-dessus. Un œil ?
-Vous resterez ici jusqu’à demain matin. Sans manger, ni boire, ni dormir.
Demain matin ?! Mais ça fait plus de douze heures !
Là-dessus elle ouvre la porte et me pousse à l’intérieur.
Une pièce entièrement blanche. Petite et carrée. Un rideau d’eau au fond, l’équivalent des miroirs des séries policière peut-être ? Une lumière dorée au milieu de la pièce. Un feu follet. Non pas un, le feu follet. Celui qui m’a testée. Je me sens pâlir, et je sens mes forces me quitter, mes jambes trembler. Mais je dois tenir droite. A tout prix.
-Viviane Layne, cela ne fait pas très longtemps il me semble.
-N-Non, effectivement.
Ma voix tremblote. Reprends-toi Viviane ! Tu es surement observée !
-Je vais t’expliquer en quoi va consister cette épreuve, ou plutôt cette punition.
Si je pouvais, je l’étranglerais sur place ! Mais je ne suis même pas sure que l’on puisse tuer un feu follet… avec un verre d’eau peut-être ? ou en l’enfermant dans un sac en plastique sans oxygène ? Est-ce qu’on peut l’exorciser avec une croix ?
-… traumatisé et vivre ce qui vous fait le plus peur.
-Pardon ?
Mince je n’écoutais plus du tout ce qu’il me disait ! Plongée dans mes idées macabres j’avais complétement oublié qu’il allait m’expliquer ma punition.
-Vous pouvez répét-…
Trop tard. La pièce devient noire.
Il fait noir, entièrement noir. Un noir oppressant et tellement opaque que l’on ne peut s’empêcher d’ouvrir les yeux en grand même si on sait que l’on ne peut rien voir. Je sens que je peux bouger ma main, mais je ne la distingue pas. C’est comme si d’un seul coup je me trouvais dans une autre réalité, comme si j’étais dans ma propre tête. Qu’est-ce qu’a dit le feu follet déjà ? Ah oui, il a parlé de traumatisme et de peur. Traumatisme ? Vais-je revoir la scène de la mort de ma sœur ? A peine y ai-je pensé qu’une scène m’apparait devant les yeux.
Il y a deux petites deux petites filles au milieu d’une prairie. Elles sont seules.
-Pfff où est-ce que papa est encore parti, j’ai faim, soupire la plus petite des deux.
-Tu as toujours faim, morfale ! rigole la deuxième.
Les deux fillettes sont blondes aux yeux bleus, on pourrait presque penser qu’elles sont jumelles si ce n’est que l’une parait un tout petit peu plus âgé. Soudainement, la plus jeune se met à crier.
-Arrête tu m’énerves ! Tu n’as toujours été qu’une gêne pour moi ! Je suis tout le temps comparée à toi, je n’en peux plus ! Si seulement tu n’étais jamais née, j’aurais été plus heureuse ! Onee-chan je te déteste !
La deuxième fillette recule et s’enfuit en courant. Elle trébuche et tombe dans un pierrier qu’elles ne pouvaient voir depuis là où elles étaient assises un instant plus tôt.
-Claaaiiire !
-Nooooooon !
Cette fois ce cri sort de ma propre gorge. Je viens de revivre pour la troisième fois la mort de Claire. Encore une fois. Toujours plus dur à supporter. Mais je dois rester debout, la culpabilité qui m’écrase est énorme. Je voudrais pouvoir m’effondrer, sangloter, prendre ma mère dans ses bras. Mais son regard s’est fait si cruel lorsque je lui ai expliqué ce qui s’est passé…
-Maman, je lui ai dit des choses horribles, c’est pour ça qu’elle est tombée ! Maman, dis tu ne m’en veux pas ?
Mais ses yeux se sont figés et sont devenus froids.
-Bien sûr que non ma chérie, ce n’était pas ta faute.
Sauf qu’elle se détourne et s’en va. Sans décrocher ni un mot, ni un regard.
Je me tourne vers mon père et tend la main vers lui.
-Papa, je regrette tellement !
Mais il ne me répond pas et passe devant moi sans me voir.
Je n’ai pas le temps de me reprendre qu’une autre vision s’impose.
Le corps de ma sœur est sur une table d’opération mais il est caché sous un drap. Les chirurgiens n’ont pas pu sauver ma sœur. Mes parents sont à côté du corps de Claire et n’ont pas remarqué la porte ouverte. Tout comme ils n’ont pas vu que je les observais…
-Ça suffit !
Par un effort de volonté intense, je brise l’illusion. Sauf que cette fois, il m’est bien plus dur de retenir mes larmes. Bien que les années qui suivirent, mes parents reportèrent tout l’amour de ma sœur sur moi, je sais que ce que j’ai fait est impardonnable. Et je suis sure qu’ils m’en veulent toujours autant. Mais ils m’aiment ! Et ils ont souffert autant que moi ! Je n’ai pas le droit de les condamner. Cette vision est celle d’une petite fille trouvant le monde injuste… J’ai grandi et j’ai réfléchi. Tout est différent. Parce que j’ai provoqué la mort de ma sœur, je dois vivre pour elle, connaître le bonheur qu’elle n’aura pas eu la chance de vivre. Je n’ai pas le droit de mourir.
Je suis au bord d’une piscine. Des enfants courent le long du bord de l’eau.
-Attention, c’est dangereux les enfants ! je m’exclame.
Ils me regardent en souriant gentiment puis leurs yeux se font méchants et ils me poussent dans l’eau. Lentement je m’enfonce dans l’eau. Le chlore de l’eau me pique les yeux, et je vois la surface de l’eau s’éloigner. Sans paniquer je fais quelques mouvements de brasse pour rejoindre la surface. Plus que quelques centimètres… Quelque chose m’agrippe alors la jambe. Je tourne la tête et vois une main grisâtre avec des écailles qui me tire vers le bas. Mon cri de terreur se transforme en une nuée de grosses bulles. Je me débats comme une folle mais je suis inexorablement tirée vers le bas. Je manque d’air. J’ouvre la bouche et bois la tasse. L’eau rentre dans mes poumons… J’ai peur ! J’ai peur ! Je ne veux pas mourir ! Mon corps a désespérément besoin d’oxygène mais j’aspire seulement de l’eau. Mon cœur bat comme un fou ma vision se rétrécis…
Je tombe à genoux et je prends une grosse goulée d’air comme si ma vie en dépendait. Je ma palpe le corps et m’aperçoit que je ne suis même pas mouillée. C’était seulement une illusion… Pourtant j’ai bel et bien eu l’impression de mourir noyée. Je me souviens encore de toute cette eau qui m’entrait dans la bouche et ce besoin urgentissime d’air que m’envoyait mon corps… La frayeur de ma vie, il ne manque plus que je tombe dans une fosse d’araignées…
Je suis attachée complètement nue sur un sol de terre. Les cordes qui m’enserrent les poignets et les chevilles sont tellement serrées que j’en saigne presque. J’essaye de me dégager mais ça ne sert qu’à me faire mal. Une sorte de bâillon en fer m’empêche de fermer la bouche. Je sens alors quelque chose me grimper le long de la jambe, et puis elle remonte vers mon ventre. Je me tortille et aperçoit une araignée énorme. Noire et velue, je vois distinctement ses yeux, ses huit pattes, ses mandibules. C’est alors qu’une deuxième me grimpe sur l’épaule. Elle est verte et a des pattes très longues. Ses yeux sont rouges. Bientôt le sol autour de moi grouille de milliers d’araignées de toutes sortes. Des petites, des grosses, des noires et des colorées… Et petit à petit elles me grimpent toutes dessus. Je sens leurs pattes sur ma peau nue, j’imagine leurs corps velus sur moi… Je ferme les yeux et je hurle. C’est alors que je sens quelque chose grimper le long de mon visage, et rentrer dans ma bouche ouverte…
-Aaaaaaaaaaaaaah !
Mon cri résonne dans la pièce vide. Cette fois je me recroqueville sur moi-même et de gros sanglots me secouent la poitrine. J’ai toujours eu la phobie des araignées, mais là c’est pire que tout. Pire que n’importe qu’elle torture. Pire que de se faire violer puis assassiner…
Je suis dans une rue sombre, seule. La faible lumière d’un lampadaire éclaire une silhouette. Un homme. Je me mets à courir.
Ça fait combien de temps que je suis enfermée ici ? J’ai fini par comprendre que toutes les peurs auxquelles je pensais s’imposaient à moi sous forme de visions cauchemardesques. Mais il est impossible de juguler ses propres terreurs. J’ai subi tellement de choses depuis que je suis entrée dans cette pièce… Je n’ai même plus l’impression d’être encore un être humain. J’ai peur, tellement peur. Peur de la vision suivante, et de son lot de souffrance. Se dire que c’est une illusion ne suffit pas pour lutter contre des phobies instinctives, des peurs qui me prennent les tripes.
-Le temps est écoulé.
La voix du feu follet s’est élevée, synonyme d’apaisement. Enfin terminé. Mon supplice est enfin terminé. Mais je suis incapable de me relever. Je sens une main me caresser les cheveux et essuyer mes larmes. Je distingue entre mes cils des yeux noirs remplis de compassion et de douleur partagée.
-Chut, c’est bon maintenant. Tout ira bien.
Mon sauveur, Catiel, me prends doucement dans ses bras, comme si j’étais une poupée de verre. De nouveau, des larmes roulent sur mes joues mais je sais que je suis en sécurité à présent. Je me laisse aller dans ses bras et respire à plein nez l’odeur de Catiel. Une odeur d’agrume et de café. Je me laisse bercer par son pas lent et cette odeur délicieuse. Juste avant de m’endormir, une dernière pensée m’effleure l’esprit. La signification de l’œil dessiné au-dessus de la porte.
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cette histoire a été entièrement inventée, merci de respecter l'auteure et de ne pas vous servir de ce texte à des fins personnelles