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Blog contenant des histoires inventées et des poèmes

Crépuscule

Le crépuscule. Ce soleil flamboyant qui teinte le ciel d’un rouge sang avant de se cacher derrière l’horizon m’a toujours rappelé ma mère. Ou plutôt il me rappelle à chaque fois le seul souvenir qu’il me reste d’elle. Un souvenir qui peu à peu s’efface de ma mémoire. J’étais capable de voir son visage, son sourire et le mouvement de ses lèvres alors qu’elle me disait au revoir ; mais plus le temps a passé et plus les détails ont disparus. A présent je ne distingue plus que sa silhouette en contre-jour. Tournée vers moi, le crépuscule derrière elle, elle disparaît. Subitement sa silhouette ne m’est plus visible. Et pour cause : elle a sauté. Sauté d’un pont où elle m’avait emmené pour admirer le couché de soleil. Mais que voulait-elle vraiment me faire admirer ? Cette question revient toujours. Au final bien que ce soit ma mère, je l’ai peu connue. Tout ce qu’elle m’a transmis, c’est sa passion pour le dessin. Mais il me manque toujours quelque chose. Une chose indéfinissable et pourtant elle empêche mes dessins de prendre vie. Et je suis persuadée que la source de ce manque provient de mon incapacité à dessiner le crépuscule. J’ai tout essayé : la peinture, le noir et blanc, les crayons de couleurs, les feutres, travailler d’après photos, de visu ou encore d’après d’autres dessins. Mais rien n’y fait, je suis incapable de me concentrer sur ce que je fais, tout se mélange dans ma tête et les couleurs disparaissent. Il ne reste plus rien à part ces souvenirs et une tonne de questions.

 

Je soupire. Ce sont les vacances d’été mais je n’arrive pas à en profiter correctement. Cette année scolaire était ma dernière année de tranquillité. En septembre, je serais en première avec toutes les épreuves du bac qui s’annoncent.

Je jette un coup d’œil par la fenêtre. A présent le soleil est à moitié caché par l’horizon et l’on n’aperçoit plus qu’une partie de ce globe rouge. La lune quant à elle, commence à apparaître lentement. Finalement le soleil disparaît entièrement et il ne reste plus que la lune et moi sous le soleil étoilé. Elle se reflète dans l’eau et autant le crépuscule m’angoisse, autant la lune m’apaise. Toujours la même, la lune ne change que peu de couleur, elle est toujours au rendez-vous et même cachée par des nuages elle veille sur notre sommeil.

Je ferme mon carnet de croquis à regret et me décide enfin à me coucher. La nuit porte conseil. Peut-être que demain tout ira mieux ? Peut-être que je me réveillerais en me disant que tout n’était qu’un rêve ? Malheureusement cela fait des années que c’est la même rengaine. Rien n’a changé, je suis toujours piégée dans le passé.

 

Le cri des mouettes me réveille doucement. Je ne me souviens pas m’être endormie. La tête posée sur l’oreiller, je regarde le flot de soleil pénétrant dans ma chambre par ma fenêtre. La lumière joue avec les grains de poussières en suspension. C’est tellement joli, j’ai toujours cru que c’était les portes pour le Paradis. Je croyais que si j’étais capable de m’élever dans cette lumière, je pourrais entrevoir le ce qui se cache dans le ciel.

Il est tard, il doit au moins être dix heures. Je n’aime vraiment pas ça, j’ai l’impression de perdre ma journée. En plus, il fait déjà chaud donc je n’aurais pas pu profiter de la fraicheur relative du matin.

Je descends les escaliers en jetant un coup d’œil dans la chambre des parents. Personne. Les chaussons des parents trainent dans l’entrée, ils sont donc tous les deux au boulot aujourd’hui. Je vais pouvoir passer la journée dehors !

 

Je me prépare rapidement des sandwichs et deux litres d’eau et je fourre le tout dans un sac. Je mets ensuite un maillot de bain une pièce aux couleurs de l’océan, que je couvre d’un paréo rouge vif avec des feuilles dorées. Je coure dans la maison pour voir si je n’ai rien oublié mais tout y est : la crème –dont je ne me servirais pas-, un livre, mes clés, et surtout mon carnet de croquis. Pas besoin de lunettes ou de portable, je risquerais plus de me les faire piquer qu’autre chose.

 

Enfin prête ! Je marche pieds nus, profitant de la chaleur de la terre et de a douceur du sable. Je me dirige vers une petite crique où les touristes ne vont pas, celle-ci n’étant pas indiquée. Seules les personnes du coin connaissent cet endroit, et les quelques rares curieux qui aiment les chemins perdus. Ce chemin, je pourrais le parcourir dans un sens comme dans l’autre les yeux fermés. Je l‘ai tellement emprunté que je sais exactement où poser les pieds pour ne pas me faire mal.

Petit à petit, à travers le rideau de verdure offert par la Provence –c'est-à-dire des cactus, des dattiers, des arbres un peu rabougris et qui piquent– la mer se dévoile ; et non pas une plage comme on pourrait s’y attendre. Arrivée au bord de l’eau, je pose mes affaires dans le creux de mon rocher habituel. Ici, il ne risque pas d’être mouillé ni par les embruns, ni par une vague un peu plus forte que les autres. Il n’y a pas de marée non plus ici, donc je peux passer des heures dans l’eau sans me soucier de rien.

 

L’eau m’appelle mais j’ai encore des choses à faire. Sa fraicheur cristalline, ses petits secrets sont comme un  cri que seul un sourd ne pourrait entendre. Alors j’abandonne, je laisse tomber par  terre mon paréo et plonge dans l’eau fraiche. J’ouvre les yeux sous  l’eau et comme toujours j’ai l’impression d’être une sirène. L’eau glisse de part et d’autre de mon corps, mes longs cheveux blonds flottent autour de mon visage et le monde m’est offert. Je me mets sur le dos et contemple les rayons de soleil qui jouent avec la surface. Vu d’en bas, ce spectacle est magnifique, presque magique. En plus, on a une impression d’espace, de légèreté… Sous l’eau on pourrait croire que l’on peut tout faire. Mais bientôt je sens que mes poumons ont besoin d’air. Je bats des jambes vigoureusement et j’éclate la surface de l’eau.

Je me suis un peu éloignée mais ce n’est pas très grave. Il faut juste que je fasse attention au courant du large qui n’est pas très loin. Je suis bonne nageuse mais sa force est supérieure à la mienne.

 

Je retourne donc à la crique en m’amusant dans l’eau à suivre les bancs de poissons sans les effrayer, à jouer avec les anémones avec un coquillage, à chercher des crabes et des nacres… Je m’approche des rochers où la faune est la plus intéressante, mais fait attention à n’en toucher aucun. Beaucoup de choses pourraient m’arriver, et pas des agréables… Les oursins, les murènes, les coquillages coupants, les anémones…

 

Une fois de nouveau à la surface, je m’aperçois que je suis à nouveau proche de la crique.  A regret je sors de cette eau bien aimée.

Après le dessin, ce que j’aime le plus c’est nager et observer la mer. Parce que je ne peux dessiner les fonds marins, ils m’attirent. On ne peut ni reproduire les jeux de lumière au fond de l’eau ni la forme exacte des choses. Tout est transformé. Mais positivement. Contrairement au crépuscule, c’est consciemment que je ne peux ni ne veux représenter cette chère mer ; quelle me demeure à jamais mystérieuse pour que chaque jour je puisse en profiter plus que la veille.

Sauf que cette fois quelque chose cloche lorsque je sors de l’eau. Je ne mets pas longtemps à identifier l’erreur. Il y a un garçon près de mes affaires !

 

-Qu’est-ce que tu fais là ?

Je m’adresse à lui un peu brusquement, ce qui n’est pas dans mes habitudes mais je n’aime pas que l’on me dérange dans mon petit paradis  secret. Lui me regarde d’un air tranquille et je sens son regard me balayer de haut en bas. Il glisse le long de mes jambes, remontent le long de ma taille, ne s’arrête pas sur le galbe de la poitrine, fixe mes lèvres, mes yeux et enfin redescend au niveau de la gorge, là où on peut voir la naissance de ma poitrine. Je me mets à rougir furieusement et ne me gêne pas du coup pour faire la même chose.

Il attend que j’aie terminé mon examen et reprend enfin la parole.

-C’est une « plage » privée ?

Sa question me prend au dépourvu.

-Euh non…

-Donc elle est ouverte à n’importe qui ?

-Euh oui…

Je commence à comprendre où il m’emmène.

-Donc j’ai le droit d’être ici et ce que je viens faire là ne te regarde pas.

Mais c’est quoi cette réaction pleine de suffisance ! Physiquement parlant, il me plait plutôt mais alors le caractère, tout est à revoir ! Il vient de ma gâcher ma journée. En plus, avec lui dans le coin, je ne vais pas pouvoir me baigner ou dessiner tranquillement.

Je récupère mon sac d’un geste rageur, noue habilement mon paréo autour de mes hanches et commence à remonter le sentier.

-C’est moi qui te fais fuir ? Je suis désolé ce n’est pas ce que je voulais !

Ses pas se font précipités et il court pour me rejoindre dans la montée.

-Je m’appelle Antony et je suis venu dans le coin pour passer deux semaines en famille. Mais les autres ne font que lézarder au soleil, en cramant par la même occasion, donc j’ai décidé de marcher un peu.

Son ton se fait badin, comme si on se connaissait depuis toujours.

-Allez parle-moi ! Je n’aime pas faire la discussion tout seul. C’est quoi ton nom ?

A présent nous sommes arrivés en haut du sentier et je vois d’ici ma maison. Je soupire et murmure : « Elisa ».

-Pardon ?

-Elisa, je répète, mais appelle moi Lise, tout le monde fait ça.

-Tu reviendras demain ?

Je prends le temps de la réflexion et acquiesce d’un signe de tête. Je m’éloigne ensuite sans rajouter un mot. Lorsque je me retourne, Antony a disparu. Peut-être est-il redescendu dans la crique ? Je hausse les épaules et rigole de moi-même. Ce monologue silencieux ne me servira à rien.

 

Je rentre dans la maison fraiche et aperçois que les chaussons de mes parents sont toujours au même endroit que ce matin. Je mange les sandwichs que je m’étais préparé devant la fenêtre et mes pensées dérivent vers Antony. C’est étrange… Il m’attire inexplicablement et je suis toujours si seule pendant les vacances d’été…

Je le revois debout devant moi, un petit sourire en coin. Ses cheveux bruns sont ébouriffés par le vent et sa peau n’a pas encore eu le temps d’être colorée par le soleil. Il est seulement un peu plus grand que moi, mais on peut voir à travers son tee-shirt et son bermuda que ses muscles sont déliés et puissants.  

 

Je fixe toujours la mer depuis ma fenêtre et je vois peu à peu le soleil redescendre vers la terre après qu’il se soit élevé si haut. L’heure tourne et je m’en fiche. Toutes mes pensées sont dirigées vers Lui. Suis-je tombée amoureuse d’un rêve ? D’une image, d’un désir ? Sera-t-il vraiment là demain ?

 

Le soir venu, après un dîner silencieux comme d’habitude, je remonte dans ma chambre sans prononcer le « bonne nuit » traditionnel. Les choses ont changées, les habitudes se sont perdues, et mes parents s’enferment dans une monotonie languissante.

Une fois dans ma chambre, je sors mon carnet et commence à tracer la silhouette d’Antony sur le papier. Mais certains contours restent flous, je me suis concentrée sur des détails. La mimique de ses lèvres, l’éclat de ses yeux et surtout son aura. L’aura si particulière que dégagent les gens et les objets et que seules certaines personnes arrivent à voir ou percevoir : les mystiques, les clairs-voyants et les artistes.

Je m’endors le carnet de croquis entre les mains.

 

Cette fois, c’est le réveil de ma mère qui me réveille. Je n’ai pas très bien dormi, mes rêves teintés d’inquiétude ne m’ont pas permis de me reposer correctement. Il est six heures et cette fois je sais que je pourrais profiter largement de ma matinée.

Je descends sans bruit, salue ma mère de la tête et fonce prendre une douche. Je n’ai pas défait mon sac de plage la veille, donc j’y remets juste mon carnet, de nouveaux sandwichs –pour deux personnes cette fois.

-Tu vas où de si bon matin ?

La voix de ma mère résonne soudainement dans les pièces vides. Je ne m’y attendais pas du tout.

-Comme toujours, je vais me baigner dans la crique habituelle.

J’attends une réponse, un commentaire mais elle est retournée dans son apathie habituelle. Je me demande pourquoi elle est comme ça… C’est elle qui m’a élevée, et même si nous n’avons aucun lien de sang, je l’aime comme une vraie mère. Mais le jour où j’ai su que ce n’était pas ma vraie mère, quelque chose à changer en elle. Elle est devenue plus distante, plus froide et s’est mise à me sourire de moins en moins. Elle m’a privée une seconde fois de chaleur maternelle. Depuis, mes parents et moi nous vivons sous le même toit, mais nous ne sommes que des étrangers les uns pour les autres. La vie a perdu de son piquant et je me suis réfugiée dans mes dessins. Avec un  crayon et une page blanche, je pouvais créer le monde que je voulais.

 

Je me rends alors compte que je suis déjà arrivée dans ma crique. Je me dirige vers le rocher habituel mais quelqu’un y est déjà assis.

-Antony ?

-Bingo !

-Je ne pensais pas que tu viendrais si tôt.

-Eh bien je me suis réveillé tôt, et comme je pensais à toi, je suis sorti. Au pire je ne perdais rien à venir, au mieux je te verrais rapidement.

Je mets mon sac dans le creux et je m’assois à côté de lui. Nous contemplons en silence la mer.

-Je comprends pourquoi tu aimes tant cet endroit.

-Ah ?

-Ici, on est comme coupé du monde réel. L’esprit peut divaguer autant qu’il veut ici, et une fois de retour en haut du sentier, il repasse en mode « normal » sans effort. Tout ce qui se passe ici est coupé du reste des hommes, tout peut prendre vie, tout peut se produire.

Un nouveau silence s’étire. Je ne ressens pas le besoin de parler. Je suis une rêveuse pas une pipelette. Mais la mer m’appelle.

-Tu veux nager ?

Je n’attends pas sa réponse. Je me défais de mon éternel paréo et m’approche lentement vers le bord de l’eau. Je tends la main en arrière et sa main saisie la mienne. Une main large, chaude, puissante. Je la serre et nous sautons ensemble dans l’eau. Sans nous lâcher.

Je ne suis plus une sirène solitaire à présent. Antony nage à mes côtés et même s’il n’a pas la grâce des nageurs nés, il nage remarquablement bien. Sous l’eau nos visages se rapprochent, nos lèvres se frôlent… Besoin d’air.  Nous avons besoin d’air.

Nous remontons à la surface et sitôt la première goulée d’air avalée, nos lèvres se retrouvent fiévreusement.

 

Les jours sont passés sans que je m’en aperçoive. Les quelques semaines qu’il a passé ici, je les ai passées avec lui. Ensemble sous l’eau, main dans la main le long des plages, assis côte à côte lors du feu d’artifice du 14 juillet.

Demain il partira. Il s’en ira pour retourner dans sa ville natale. Demain il prendra le train, à la rentrée il parlera peut-être de moi et puis le temps m’effacera de sa mémoire. Un amour de vacances, aussi beau qu’éphémère.

Pour notre dernière soirée nous retournons dans ma crique. J’ai prévenu les parents que je rentrerais tard, je ne suis donc pas pressée.

 

Il est déjà là. Assis comme tel un sphinx sur notre rocher habituel. Je me serre contre lui et il me passe un bras autour des épaules. Nous échangeons un long baiser puis nous contemplons ensemble le soleil descendre. Le ciel se teinte peu à peu de rouge et on atteint ce moment de la journée appelé crépuscule. Je frissonne inconsciemment.

-Tu as froid ?

-Je n’aime pas le crépuscule.

-Pourtant nous sommes ensembles.

-Mais demain tu ne seras plus là… et je serais de nouveau seule le soir, de nouveau seule au crépuscule suivant.

-Oui mais tu auras pleins de beaux souvenirs à te remémorer. Tu te souviendras des moments passés ensemble, tu te souviendras de ce crépuscule passés tous les deux. Et même si on ne se revoit pas, tu te souviendras toujours de cet amour fugace que nous avons partagé, cette amour de jeunesse le temps d’un été.

Il penche alors la tête vers moi et m’embrasse doucement. Gentiment. C’est un baiser d’adieu.

-Au revoir ma sirène.

Sa voix s’est faite caressante. Il se lève doucement et repars dans la  nuit.

 

Les larmes coulent toutes seules le long de mes joues. Je savais comment ça se terminerait. Je savais que tout ça aurait une fin. Mais je ne pensais pas que ça ferait aussi mal. Pourtant malgré les larmes, malgré la tristesse, je sais que ce n’était pas une erreur. Ça a été des journées merveilleusement belles, et aimer est un sentiment aussi fugace que beau. Un sentiment qui peut être vécu avec la légèreté adolescente ou la profondeur des adultes.

A mi-chemin entre les mondes des enfants et des adultes, je sais à présent que je pourrais le dessiner. Le crépuscule.

 

 

cette histoire a été entièrement inventée, merci de respecter l'auteure et de ne pas vous servir de ce texte à des fins personnelles

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