• Ces quelques semaines

    Ce soir-là je me rendis compte de mon incapacité à l’oublier. Alors que je voulais dessiner deux amants échangeant un long regard plein d’un amour passionné, seul un homme portant une tristesse infinie dans les yeux naquit sur ma feuille de papier. Et là, assise en tailleurs sur mon lit, minuit étant passé depuis bien longtemps et le sommeil se refusant à moi, je me disais que je n’avais toujours pas tiré un trait sur le passé, sur cette flamboyante passion qui m’avait étreint si peu de jours encore auparavant.

    Etait-il beau ? Je ne pense pas non ; il était de ces beautés que l’on ne découvre qu’une fois que l’on s’est attaché à la personne. Cette beauté qui caractérise tous les gens que nous connaissons et que notre confiance en eux fait irradier. Il était calme et serein, stabilité dans mon royaume de doutes et de souffrances. Mais peut-être est-il temps de vous conter notre belle et courte et histoire qui malheureusement n’eut point la fin escomptée… voire pas de fin du tout.

     

    On était en Septembre, je venais de changer d’université pour m’installer dans le Sud, pensant dans ma jeunesse et ma naïveté que tout est toujours plus beau ailleurs, que je réussirais mieux loin de chez moi. Et bien je n’avais pas tort ! Les cours sont intéressants et je ne suis pas la seule dépaysée ! Alors vient le temps de la rencontre : une proposition de sortir le week end à la plage. Il fait beau, chaud, je me sens belle ; mieux, son sourire déjà me charme. Le bus nous emmène, il est bondé et nous empêche de discuter. Peu importe, la solitude ne semble pas lui peser et moi non plus. La discussion est inutile, nous nous contentons de la présence de l’autre.

     

    L’eau est tellement belle ! Turquoise, elle miroite sous les petites vaguelettes de la légère brise. Le sable chaud me brûle presque la plante des pieds.  La robe est vite enlevée pour un beau plongeon dans cette eau claire. Les galets font place à une eau plus profonde et nous nous éloignons un peu du rivage. On rigole, on discute, il ne me drague pas, il prend juste plaisirà passer ce beau week end dans une nouvelle ville, avec une nouvelle personne à découvrir. Et le temps passe… ce week end reste un beau souvenir et il faudra attendre plusieurs semaines avant d’en refaire d’autres.

     

    -Tu viens faire du sport ? Je vais courir à la plage.

    -Bof j’aime pas trop faire du footing… et je te ralentirais !

    -T’en fais pas, on ira à ton rythme. C’est juste une mise en jambe : tu as dix minutes !

    -Quoi ?!

    Et voilà que je cours dans le petit appartement que je partage avec ma colocataire pour trouver ma paire de basket, de l’eau, et un tee-shirt quelque part dans notre fouillis féminin.

    Vingt minutes plus tard – les filles sont incapables d’être à l’heure c’est bien connu – nous sommes dans la voiture, en direction de la même plage.

     

    -Pff  tu m’as crevée ! T’abuses…

    -Avoue ça t’as fait du bien.

    J’acquiesce, heureuse de me sentir en forme, de pouvoir bouger en toute liberté.

    -Baignade ?

    Et nous faisons la course jusqu’à un coin désert de la plage, où l’eau commence à se faire bien fraiche. Normal nous sommes début Novembre. Et pourtant nous restons dans l’eau à discuter, à prendre des photos. Et je suis heureuse, fantastiquement heureuse.

     

    Et puis de nouveau les semaines passent. Il n’y a rien entre nous, je tente même quelque chose avec quelqu’un d’autre ! Mais ça ne marche pas et bon gré mal gré je poursuis mes études.

    Finalement ce n’est pas si facile que ça… Les cours se compliquent, je ne m’entends plus bien avec ma colocataire qui me mène la vie impossible et ramène des garçons tous les soirs… Son insupportable mauvaise humeur use mes nerfs qui ne supportent plus les portes claquées et ses soupirs désobligeants.

     

     

    Je viens de décider d’acheter une télé, quoi de mieux pour couvrir les bruits de ma colocataire le soir que de regarder à plein volume une émission télévisée pourrie ? Mais impossible de comprendre comment elle fonctionne… Alors appel au secours à mon très cher ami qui se moque de moi en me soulignant que je n’ai pas acheté de décodeur…

    Une fois ledit décodeur acheté, nous planifions une soirée pour installer et programmer cette fameuse télé. Une fois le travail fait, c’est-à-dire une fois qu’il a branché, validé la langue, programmé les chaines, et montré comment fonctionne la télécommande, je fais mon hôtesse et offre une bière. A cette bière s’en succède d’autres et décidemment il est bien plus confortable d’être allongés l’un contre l’autre que d’être assis bêtement l’un à côté de l’autre.

    Sa main caresse doucement mes cheveux, frôlant de temps en temps ma joue. Je commence à avoir des fourmillements dans le ventre et j’ai  soudainement très chaud. La bière m’a échauffé l’esprit et je me prends à rêver de plus. Et sa main descend inexorablement vers mon cou, mon épaule, le long de ma hanche. Ses doigts tracent des lignes de feu sur ma peau encore protégée de mon tee-shirt. Et puis je l’embrasse. Sa chaleur m’a embrasée et j’ai envie de plus. Un besoin monte en moi, et une vague de désir me submerge alors que nos lèvres sont scellées et que nos langues s’entremêlent dans ce ballet si sensuel du jeu amoureux.

    -Non… protestais-je faiblement.

    -Pourquoi ? Tu n’as pas envie ?

    Oh que si j’en meurs d’envie ! Ses mains me caressent de manière si adroite, si subtile que je voudrais qu’elles ne s’arrêtent jamais… Mais la petite partie de moi qui a une morale s’écrie : jamais le premier soir ! Et pourtant cela fait maintenant des mois que l’on se connait… J’écoute cependant ma voix intérieure et il s’en va.

    Cette nuit-là est l’une des plus solitaires que j’ai pu passer. J’avais tellement envie de cette étreinte ! Morte de désir je n’attendais plus que le lendemain pour réparer cette erreur.

     

    Cruelle déception le lendemain matin que de me voir ignorée pendant la journée après avoir été si intimes. J’aurais tellement eu envie d’exprimer ce que j’avais sur le cœur. Mais lui se comporte comme d’habitude, force tranquille qui m’émeut toujours autant.

    Et pourtant ! Vers vingt heures après avoir légèrement diné me revoilà à espérer seule dans ma chambre… « Ça te dit un film ?  Je viens d’en télécharger un qui pourrait te plaire…. » Ô joie ! SMS bienheureux !  Je saute sur l’occasion et me précipite chez lui.

    Il ne se presse pas, on prend le thé, puis une bière et on après avoir échangé des banalités on se décide de se mettre enfin derrière le fameux film. Je suis assise contre le dossier du canapé et lui est à moitié allongé. Alors que je me trémousse un peu, essayant de trouver une position plus confortable tout en ayant une conscience aigüe de sa position, sa main se glisse le long de ma hanche et me bascule vers lui. Nous sommes de nouveau allongés côte à côte et le film est vite oublié. Nos lèvres se retrouvent avec une hâte qui ne laisse planer aucun doute : nous avons tous les deux envie l’un de l’autre. Nous nous découvrons par le toucher, une lente danse de nos mains, peau noire sur peau blanche, longs doigts blancs s’entremêlant dans des cheveux sombres…

    Je suis une femme comblée alors que nos deux corps reposent l’un contre l’autre, nos deux respirations haletantes se fondant l’une dans l’autre. Mon oreille posée sur son torse entend les puissants battements de son cœur et mes yeux se ferment grâce à ce doux son rassurant.

     

    Il est cinq heures et on me secoue doucement l’épaule :

    -Lève-toi, il faut partir !

    Je dois rentrer avant que ma colocataire ne se rende compte de ma disparition et aille réjouir les oreilles des commères le lendemain à la fac.

     

    Et les soirées s’enchainent. Nous avons toujours besoin d’un prétexte pour nous voir. Un film, un devoir à travailler ensemble… Toujours chez lui ou chez moi, dans le secret. Nous ne nous voyons jamais en dehors et personne n’est au courant. Et pourtant cela me suffit. Je m’attache, je suis tombée amoureuse sans m’en rendre compte. Même si à la fac on se comporte comme les amis que nous avions toujours été, je sens dans son regard que je suis plus que ça pour lui. Mais la discrétion est de mise, je me restreins pour que l’on puisse mieux s’aimer la nuit, à l’abri des regards.

     

    Durant cette courte période, je suis plus souriante, plus ouverte aux autres et j’oublie mes problèmes. La vie est si belle ! L’hiver tarde à venir, ma vie sentimentale est comblée et je me suis faite deux formidables amis. Nous ne nous quittons plus.

    Le bonheur est ce qu’il y a entre deux périodes de malheur. Le mien fut de courte durée car des rumeurs courent déjà sur nous : ma colocataire l’a vu repartir de ma chambre à une heure très tardive et a parlé.

    -C’est fini, il ne faut plus. Cessons nos idioties.

    -Comment oses-tu appeler ça des idioties ! Je ne pensais pas que tu nous voyais comme ça…

    Mais sa décision est sans appel ; je sombre dans le chagrin. Adieu les couleurs vives, et le sourire dès le matin ! Son souvenir me hante. Tellement qu’une chère amie me demande ce qui ne va pas. Je lui dis tout, je passe le week end entier chez elle, elle me fait penser à autre chose et je commence à oublier. Un peu.

    La semaine suivant est douloureuse mais supportable, j’essaie de ne pas montrer mon chagrin en public et tout le monde se rassure. Mais seule dans mon lit je pleure mon bonheur perdu, et pleure le sommeil qui me fuit de si longues heures durant.

     

    -Maman a eu un grave accident, il faut que tu rentres !

    Ma sœur sanglote au téléphone et je comprends que je dois rentrer pour m’occuper de mon jeune frère pendant sa convalescence. Il n’y a que moi…

    Je retarde mon annonce, je ne veux pas partir, laissez mon histoire comme ça où elle en est, sans véritable fin !

    Alors je reviens le voir sous prétexte de lui donner des cours qu’il a raté. Mais il est en charmante compagnie et je m’en vais, désespérée de comprendre qu’il m’a déjà remplacée.

    Je prends péniblement l’ascenseur, chaque pas que je fais dans la rue me semble si long, si difficile à faire…

    -Ne pars pas ! Reviens ! me crie-t-il depuis la fenêtre.

    Et je reviens, je suis tellement heureuse de le revoir ! Si amoureuse et si attachée que je ne m’en étais pas rendu compte. Seulement maintenant je pars et je sais. Et je m’efforce de ne pas penser à mon départ proche.

     

    Je parle. Beaucoup. Il m’écoute avec attention et il est désormais le seul à savoir que je m’en vais le surlendemain. Nous faisons l’amour tendrement, ce sont nos retrouvailles et j’apprécie la chaleur de son corps contre le mieux. Nous nous fichons alors des rumeurs puisque je pars. Je ne pense plus qu’à lui, et lui à moi. Alors que nous partageons ces doux instants de félicités, nos yeux ne se sont pas quittés. Je ne veux plus que lui, j’arrête de penser, et les flammes de notre désir nous envahis.

     

    Je pars. Je pars. Je pars. Je ne peux cesser de me le répéter. Cette nuit sera vraiment notre dernière. Mes bagages sont faits, je m’en vais le lendemain midi. Mais je ne peux penser qu’à lui. Je veux le voir, sentir sa peau, le gout de ses lèvres, le parfum de son cou, la douceur ses belles mains…

    Passion. Désespoir et tristesse se mêlent à celle-ci et entraine un cocktail enivrant. Je ne veux pas me passer de lui. Sa voix, sa peau, nos gémissements. Ses lèvres effleurent les miennes avant de s’en emparer avidement. Je ne plus me passer de sa bouche, je m’agrippe à lui de toutes mes forces. Mes ongles s’enfoncent dans sa peau sombre. Mes cheveux… qu’il caresse doucement avant de les empoigner avec fougue pour accentuer ce farouche désir. Désir qui nous consume tous les deux, une bonne partie de la nuit durant. Et puis l’esprit apaisé je m’endors d’un sommeil qui m’avait fuis pendant longtemps.

     

     

    Je repense maintenant à l’état d’esprit dans lequel j’étais alors que je prenais le train qui me ramenait vers ma ville natale. La monotonie du paysage n’arrivait pas à effacer son sourire, son souvenir reste imprégné en moi. Il n’y a pas eu d’au-revoir. Le matin même nous nous sommes embrassé tendrement comme à l’accoutumée, comme si c’était une journée normale qui s’annonçait et je suis partie. Je l’ai laissé là derrière, persuadée que ce qui m’attendait devant requérait ma présence.

    Je ne nous ai pas donné de chance. Je ne suis pas restée pour lui et lui ne m’a pas retenue. Dans cette fantastique relation, je me demande ce qui m’a fait le plus souffrir : imaginer ce qui aurait pu être mais n’a pas eu lieu, ou savoir que je laissais quelqu’un d’extraordinaire derrière moi et que cette personne n’a pas eu le courage de me retenir ?

    Egoïste rêve que j’ai eu, égoïste relation que nous avons entretenue, qui me laisse seule et pleine de regrets. Pourtant pour rien au monde je ne changerais quoi que ça.

     

    Il faut continuer à vivre.

     

    cette histoire a été entièrement inventée, merci de respecter l'auteure et de ne pas vous servir de ce texte à des fins personnelles